Istanbul relie géographiquement l’Europe et l’Asie. Et comme le Bosphore, Baba Zula enjambe les mers, relie les continents et rapproche les cultures, à coup de saz et de oud baryton électrifiés ! Au festival Sons d’hiver, le légendaire quartet oriental psyché turc se laisse triturer par Mad Professor. Une soirée sur la planète dub oriental qui promet des surprises ! A ne pas rater !
A priori, on aurait dû mal à situer Istanbul et Kingston sur une même carte musicale… Et pourtant, depuis plus de vingt ans les poètes stambouliotes déjantés du quartet Baba Zula ont relié la Jamaïque au folk et aux poèmes turcs dans une fusion psychédélique labélisée Oriental dub, soit un précipité actif sans frontière et sans complexes, où le saz et le oud s’électrifient et les percussions dansent avec les machines et le chant.
« Il y a un lien rythmique très clair entre notre musique populaire et le groove jamaïcain, explique Osman Murat Ertel (saz électrique & chant), un des fondateurs du légendaire groupe Baba Zula. Dans la plupart des musiques occidentales, on appuie sur le premier temps d’une certaine façon, comme en reggae, et ça donne un swing particulier.»
Murat a baigné très tôt dans les musiques d’ailleurs grâce à ses parents artistes et militants gauchistes engagés qui collectionnaient les happenings artistiques chez eux et les vinyles de Miriam Makeba, de Bob Dylan, ou d’Harry Belafonte.
« J’ai écouté Belafonte en boucle jusqu’à ce que je tombe sur Bob Marley », poursuit Murat. Pour nous, c’était un peu comme le Che, un personnage culte, un héros rebelle ! En Turquie, on entendait “I Shot The Sheriff ” partout. Petit à petit, on a découvert Peter Tosh, Lee Perry et puis le dub ! C’était le début d’une nouvelle aventure musicale !» Le dub, première musique inventée par les ingénieurs sons en Jamaïque. Elle va ouvrir les portes de l’électro, du hip hop et des bricolages sonores puisque la console de mixage devient un instrument de musique à part entière, avec à la clé, expérimentations et autres effets distordus ou réverbérés…
A cette époque, Murat monte ses premiers groupes de jeunesse, mais il faisait pourtant du dub depuis l’âge de 5 ans sans le savoir… Il avait déjà branché un micro et une platine vinyle sur la radio de sa grand-mère pour improviser et trifouiller des sons.
Pas étonnant donc que quelques années plus tard, en 1996, Baba Zula révolutionne la scène musicale turque en combinant cuillères en bois et patchs électroniques, saz amplifié et oud fait maison avec des visuels psychés et surtout des spectacles indescriptibles à cheval entre performance, théâtre, happening, danse et contes surréalistes… De quoi prendre le dub au pied de la lettre, c’est-à-dire pour un espace de liberté où les frontières sonores et sensorielles s’abolissent au profit de l’expérience… « On a une culture chamanique du show, une approche rituelle. “On aime dynamiter les genres” explique Murat. “On n’est pas limités par la technologie, au contraire on la pousse toujours plus loin pour emmener le public avec nous de façon organique et chaleureuse. Chaque concert est une expérience unique, et le public y joue un rôle très important ». D’ailleurs comme les Grateful Dead, Baba Zula a ses afficionados qui suivent le groupe de dates en dates pour vivre chacune de leurs performances déjantées qui comme les acid test des seventies se ressemblent jamais. Il fallait bien qu’un jour le groupe rencontre un maître du triturage de sons et de l’impro à la console… « On était fans de Mad Professor surtout depuis qu’il avait remixé Protection, le disque trip hop de Massive Attack, et on sentait bien qu’il sait épouser d’autres univers que le reggae pur et dur».
Avant de partager la scène avec Baba Zula, Mad Professor a d’abord accepté de mixer un de leur album Psychebelly Dance Music en 2003.
« La première fois que j’ai vu Baba Zula c’était en concert à Istanbul au Babylon, raconte Neil Freiser alias Mad Professor, génie des manipulations électroniques basé à Londres. J’ai vraiment adoré ! ». Banco ! Le héros du dub anglais et patron du label Ariwa (qui veut dire « communication » en yoruba) vient mixer avec Baba Zula à Istanbul. Il préfère leur modeste studio 16 pistes à l’antre plus bling bling d’un groupe pop turc. « Il disait « ah super, ça c’est roots man » ! On a appris beaucoup avec lui, raconte Murat. Quand il a copié le mix sur une cassette DAT, et que toutes les aiguilles étaient dans le rouge, je me suis inquiété et il m’a dit : tu entends quelque chose qui sonne mal ? J’ai répondu non. Tout sonnait super. Sa première leçon : se fier à ses oreilles plus qu’aux machines !! »
Après ce premier disque, Mad Professor et Baba Zula vont enchaîner les collaborations sur disque et sur scène où ils fusionnent le folk d’Anatolie, les délires psychés et la liberté d’un dub, dont les infra bass hypnotiques et groovy du dub sont portées par leur oud baryton fabriqué sur mesure que Mad Professor retravaille en live… « Quand on joue avec lui, on a toujours des surprises, c’est génial !» rigole Murat. Pour un concert en Pologne, Mad Prof avait apporté une boîte d’effets avec un seul gros bouton. Il voulait pas nous en dire plus. Quand on s’est retrouvés sur scène, à un moment on a entendu un son ou plutôt une secousse, j’ai cru qu’il y avait un tremblement de terre. J’ai regardé Mad Prof qui souriait, la main sur le bouton de cette boîte mystérieuse… »
Il sera donc difficile de décrire à quoi s’attendre ce samedi. Et quand on demande à Mad Professor s’il prévu des choses en particulier, il se contente de rire… « On part toujours de nos morceaux, tente d’expliquer Murat mais après l’improvisation et l’histoire que l’on raconte sur scène nous mène vers des territoires inconnus. Mon père me disait tu peux tout mélanger, mais s’il n’y a pas de poésie c’est juste du travail et pas de l’art… ». Une chose est sûre, la poésie et l’art seront au contrôle ou plutôt au lâcher prise…
Baba Zula & Mad Professor seront en concert samedi 25 janvier au Théâtre de la cité Internationale – 17 boulevard Jourdan 75014 Paris – dans le cadre du festival Sons d’hiver.